Après le vote sans surprise ce matin du Sénat sur le texte final de réforme des retraites, le gouvernement a décidé de ne pas soumettre le projet de loi au vote des députés comme le circuit législatif le prévoit.
La Première ministre a dégainé l’article 49.3 de la Constitution qui permet l’adoption d’une loi sans vote des élus du Palais Bourbon pour faire passer sa réforme des retraites et a engagé la responsabilité de son gouvernement sur ce 49.3. Un rebondissement majeur après deux mois de bataille parlementaire et d’opposition dans la rue.
La majorité présidentielle s’évite ainsi un vote à haut risque à l’Assemblée nationale où la majorité n’était pas acquise. Du moins l’incertitude trop grande pour risquer un vote rejetant le texte final.
C’est lors d’un conseil des ministres convoqué dans l’urgence ce jeudi que le gouvernement a été autorisé à utiliser le 49.3, cet article de la Constitution qui permet de faire adopter une loi sans recourir au vote des députés.
A l’issue de ce conseil des ministres, le débat à l’Assemblée nationale a commencé. Mais les députés de la Nupes, qui ont entonné la Marseillaise, ont empêché la Première ministre de s’exprimer et d’annoncer le recours au 49.3.
La séance a été suspendue à plusieurs reprises. Finalement, la Première ministre a pu s’exprimer dans une ambiance très bruyante alors que les oppositions hurlaient des « démission, démission » dans une Assemblée en ébullition.
Une dizaine de minutes durant, Elisabeth Borne s’est évertuée à justifier ce passage en force par le « refus de débattre » des groupes d’opposition et « l’obstruction législative ». Cette « réforme est enrichie, améliorée mais toujours équilibrée » selon la Première ministre qui a estimé que le compromis construit par la Commission mixte paritaire n’est « pas le projet du gouvernement mais le texte du Parlement« .
Au terme de son discours devant l’Assemblée, Elisabeth Borne a annoncé le recours au 49.3 et a engagé la responsabilité du gouvernement sur le projet de modification de la loi de finances de la Sécurité sociale, le vecteur législatif de cette réforme des retraites. « Il y aura à n’en pas douter des motions de censure d’ici quelques jours donc un vote parlementaire aura bien lieu et la démocratie aura le dernier mot » a conclu la Première ministre tandis que les députés évacuaient l’hémicycle en hurlant des « démocratie, démocratie ».
L’intersyndicale reste mobilisée
Avec ce recours au 49.3, le débat sur le texte est suspendu et ce dernier sera adopté « sauf si une motion de censure est déposée avant demain et votée » a précisé la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet.
Dès cette annonce, le groupe de la Gauche démocratique et républicaine (GDR), celui des deux députés de la Guyane, s’est exprimé par la voie du député des Bouches-du-Rhône Pierre Dharreville. « Nous sommes profondément en colère. Ce passage en force n’est pas acceptable. Nous allons user de tous les moyens à notre disposition pour redonner la main à la population pour exprimer son rejet de cette réforme impopulaire. Nous n’acceptons pas ce qui vient de se passer. Le gouvernement n’est pas à la hauteur de ses responsabilités. Aujourd’hui, le Parlement a été humilié.«
En Guyane, l’intersyndicale en lutte contre le projet de réforme a « un peu anticipé cet emploi du 49.3 » en se réunissant hier soir explique Sabine Lagrèze de Sud Solidaires. « Nous restons mobilisés et une action est prévue la semaine prochaine, probablement jeudi 23« . Cette date correspond à la nouvelle journée de mobilisation, la 9e, organisée à l’échelle nationale par l’intersyndicale.
« Malgré la décision du gouvernement de nous imposer cette réforme en utilisant encore le 49.3 alors que 70% de la population et 94% des actives et actifs étaient opposés, l’intersyndicale de Guyane appelle la population à poursuivre et à durcir la mobilisation jusqu’au retrait de cette loi« , écrivent les huit syndicats de Guyane dans un communiqué.
De son côté, la Fédération syndicale unitaire (FSU), pourtant membre de l’intersyndicale, organise une riposte de son côté dès ce jeudi à 18 heures avec une retraite aux flambeaux au départ de la place des Chaînes brisées à Cayenne. « Ce gouvernement ne voulait pas prendre le risque de perdre ce combat. La majorité des Français s’oppose à cette régression sociale. Imposer par la force cette réforme montre la faiblesse du gouvernement. C’est une raison de plus de se mobiliser et de crier haut et fort notre détermination » a commenté Suley Jaïr, membre de la FSU.
Motion de censure
« Je ne suis pas surprise » de cette utilisation du 49.3 car « depuis le début le gouvernement est dans la précipitation pour éviter tout débat » renchérit Sabine Lagrèze (Sud Solidaires) qui dénonce « un déni de démocratie. J’espère que les députés vont se mettre d’accord pour déposer une motion de censure du gouvernement.«
Cette motion devrait être déposée « dès demain et soumise au vote probablement lundi » nous précise le député Davy Rimane, joint par téléphone. Pour l’élu de la 2e circonscription de Guyane, ce recours au 49.3 est « une défaite du gouvernement à tous les niveaux« . Vis-à-vis « de la population et de l’Assemblée nationale où il n’avait pas l’assurance d’une majorité donc même au sein de sa propre majorité, le gouvernement n’est pas crédible« .
« Ce projet de loi est alambiqué et le gouvernement pas serein sur un texte majeur » souligne Davy Rimane, qui appelle « à massifier la mobilisation » dans les jours et les semaines à venir. « Dès le départ le gouvernement a foulé au pied la démocratie en choisissant la modification du budget de la Sécurité sociale comme outil pour sa loi. L’utilisation du 49.3 en lieu est place du vote final n’est que la suite logique.«
Cette motion pourrait être transpartisane. C’est en tout cas le souhait exprimé par le groupe de gauche LFI (Nupes) et le groupe des députés indépendants Liot dans lequel siègent de nombreux élus ultramarins.
Outre la motion de censure, Davy Rimane évoque le référendum d’initiative partagée comme autre arme législative pouvant bloquer la réforme des retraites. « A condition de recueillir 185 signatures de députés et que ce RIP, qui est déposé par la présidente de l’Assemblée au Conseil constitutionnel, le soit avant la promulgation de la loi.«
Photo de Une : le 49.3 a été dégainé par le gouvernement à l’Assemblée nationale pour adopter la réforme des retraites sans vote des députés © Capture d’écran LCP
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