Dans le discours martial du nouveau ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau qui multiplie les déclarations chocs contre le narcotrafic et les narco-homicides, pas un mot pour les départements et régions ultramarins, pourtant en tête de tous les indicateurs du ministère de l’Intérieur mesurant la violence sur le territoire national.
Alors que les villes de Grenoble, Marseille ou Poitiers ont récemment défrayé la chronique judiciaire pour des faits divers liés au trafic de stupéfiants, amenant le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau à appeler depuis Rennes à faire du « combat » contre les « narcoracailles » une « vraie cause nationale« , les Outre-mer semblent toujours ignorés du spectre politique.
Les Départements et Régions d’Outre-mer (DROM) sont pourtant en tête d’une triste compétition. Celle des records d’homicides pour 100 000 habitants.
La Guyane est nettement première de cette liste des départements les plus meurtriers de France, avec 20,6 victimes d’homicide pour 100 000 habitants en 2023. Cela représente 59 homicides, auxquels s’ajoutent 250 tentatives. Viennent ensuite la Guadeloupe, avec 9,4 ; la Martinique, avec 6,9 ; Mayotte, avec 5,5 ; et enfin la Corse, qui affiche le score de 3,7 homicides quand la moyenne nationale s’établit à 1,5 pour 100 000. Mais, loin des yeux loin du coeur, responsables politiques et médias de masse préfèrent parler à longueur de journée de la « mexicanisation » des gangs criminels de la cité phocéenne.
Pourtant, la tendance est à la hausse en Outre-mer où le nombre de meurtres ne cesse d’augmenter depuis cinq ans, tandis qu’il diminue dans l’Hexagone selon les statistiques publiées en 2023 par le ministère de l’Intérieur. Les faits divers sanglants ne manquent pas non plus, comme en Martinique où un commando de quatre personnes a tué début novembre une jeune femme et un adolescent, blessant également deux enfants ainsi qu’un nourrisson dans un appartement.
Dans son édition du 20 novembre, Le Canard enchaîné souligne dans un article intitulé « Meurtres sous les tropiques » que la « Guadeloupe a recensé 25 assassinats, dont 19 par arme à feu » depuis le début de l’année 2024. L’archipel, qui enregistre un taux d’homicides sept fois supérieur à celui de l’Hexagone, est bien parti pour battre son précédent record : 37 homicides en 2023 sur une population totale de 384 000 habitants.
Quant à la Guyane, après deux années records (47 en 2022 et 59 en 2023) en termes d’homicides, la barre des 40 meurtres a été franchie en octobre selon plusieurs sources. La maire de Saint-Laurent du Maroni Sophie Charles évoquait même « 42 homicides depuis le début de l’année » dans un courrier adressé au Premier ministre début octobre pour réclamer davantage de moyens sécuritaires pour la capitale de l’Ouest guyanais, qui concentre à elle seule 25% des vols à main armée recensés en zone gendarmerie sur tout le territoire national !
Toujours plus d’armes
En Outre-mer, les tentatives d’homicides sont également plus nombreuses : 27,7 victimes pour 100 000 habitants dans les DROM en 2023 contre 5,2 en France. La Guadeloupe et la Guyane se partagent une nouvelle fois le podium. Très souvent, la présence d’armes à feu est pointée du doigt par les autorités.
Des armes, les forces de sécurité en Guyane en saisissent en moyenne une par jour selon le bilan sécurité 2023 de la préfecture. Les traditionnels fusils de chasse calibre 12, au canon scié par les délinquants, sont aujourd’hui remplacés par des pistolets automatiques comme le Glock 17, que l’on peut acheter entre « 200 et 500 euros » témoigne un jeune Guyanais de 19 ans dans un récent article de Libération.
Plus modernes, plus puissantes, ces armes à feu sont également de plus en plus présentes aux Antilles. Lors des récentes – et violentes – manifestations contre la « vie chère » en Martinique, les gendarmes et les policiers ont essuyé des tirs d’armes à feu à au moins vingt reprises, selon un communiqué de la procureure de Fort-de-France.
Les Antilles françaises voyaient pourtant peu d’armes circuler ces dernières décennies. « Mais, après s’être implantés en Guyane, les trafiquants de drogues dures (crack, héroïne ou cocaïne) ont développé leur commerce dans les deux îles, qui sont devenues peu à peu des zones de forte consommation et, surtout, des portes d’entrée vers l’Hexagone et l’Europe. Les armes importées depuis le Venezuela, les Etats-Unis, le Brésil ou la Colombie ont suivi, et se sont répandues dans la société antillaise » relate le Canard Enchaîné.
« Il y a de tout, même des fusils-mitrailleurs. La Martinique est une véritable armurerie ambulante » témoigne dans les colonnes du journal satirique un syndicaliste policier.
Ces armes se retrouvent, outre les homicides, dans les vols violents, plus fréquents une nouvelle fois dans les DROM avec un nombre d’infractions enregistrées par habitant nettement supérieur à la moyenne nationale : 1,2 pour 1000 habitants contre 0,1 pour 1000 en 2023 selon le Service statistiques du ministère de l’Intérieur (SSMI).
Ces vols violents avec armes touchent surtout les grandes agglomérations de plus de 100 000 habitants, le taux dans les départements et régions ultramarins étant trois fois plus élevé qu’en France hexagonale dans les agglomérations de même taille (0,12/1000 contre 0,32/1000).
213 vols avec armes se sont produits en Martinique (360 000 hab) en 2023, 478 en Guadeloupe (384 000 hab). Mais la palme revient une nouvelle fois à la Guyane, avec 858 vols violents avec armes enregistrés en 2023 par le SSMI.
Une justice dépassée ?
Un flot incessant de faits criminels qui pousse la justice locale à correctionnaliser ces faits. Dans le code pénal, un vol à main armée (Vama) vaut pourtant la cour d’assises. « Mais on ne peut pas réunir des assises pour chaque Vama donc on est à 80% de correctionnalisation, c’est un taux exceptionnel » nous confiait récemment le procureur général près la cour d’appel de Cayenne, Joël Sollier. « En général, on fait 20% de correctionnalisation. »
Même constat du côté d’une parquetière qui nous expliquait le mois dernier n’ouvrir des informations judiciaires lors des vols avec armes qu’en cas « d’usage de l’arme, de blessure ou d’homicide« , quand dans l’Hexagone l’ouverture est systématique pour ce genre de faits.
En l’absence de juges d’instruction en nombre suffisant (malgré l’arrivée d’une 5e en septembre), le parquet use de la correctionnalisation et du déferrement pour pouvoir traiter ces dossiers dans un délai raisonable. Le principe de la correctionnalisation est de transformer un crime en délit pour permettre à la justice de juger plus rapidement. Sans pour autant être laxiste selon le procureur général, car les peines pour les délits ont « considérablement augmenté » ces dernières années.
« Avant, pour un délit, la peine maximale était de 3 ans de prison et aujourd’hui on peut encourir jusqu’à 10 ans donc la réponse reste ferme. Aux assises les peines ne sont pas forcément lourdes. On juge assez rapidement et on condamne assez fermement.«
De là à correctionnaliser 80% des crimes, est-ce bien normal ? On entend déjà les politiques nous dire que le contexte sud-américain justifie que le curseur sur la nature de l’infraction ne soit pas le même, car le rapport à la violence n’est pas le même. Mais le seul contexte de la Guyane ne peut tout justifier, puisque tous les Départements et Régions ultramarins sont en tête des faits les plus graves. Peut-être, M. Retailleau, serait-il temps de s’attaquer aux vraies causes de cette violence, comme la pauvreté, qui elle aussi est commune à tous ces territoires.
Photo de Une : des armes saisies par les forces de l’ordre et exhibées lors d’une visite ministérielle en Guyane © Guyaweb
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