L’autre moyen soulevé en cassation est celui-ci :
Le moyen est pris notamment de la violation des articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l’homme (…) le moyen critique l’arrêt (…) attaqué en ce qu’il a condamné l’intimée à deux ans d’emprisonnement
avec sursis des chefs d’aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d’un étranger, d’abus de confiance, d’usage de faux et d’escroquerie ;
« 1°/ alors que les dispositions de l’article L.622-1, alinéa 3, du CESEDA ne permettent pas de poursuivre en France, au titre de l’« aide » incriminée par ce texte, les conditions dans lesquelles des ressortissants étrangers ont pu circuler hors de l’espace Schengen ; qu’en déclarant le contraire, la cour a violé le texte susvisé ;
2°/ alors qu’à défaut d’entrée irrégulière sur le territoire français, les conditions d’application de l’article L. 622-1
du CESEDA ne sont pas davantage remplies au titre de l’aide pénalement incriminée ; que la cour n’a pas tiré les
conséquences légales de ses propres constatations ayant situé au Brésil, un fait prétendu d’aide reprochée à la
requérante au bénéfice d’un étranger qui avait régulièrement sollicité l’asile à la frontière ;
3°/ alors que dans ses conclusions demeurées sans réponse, la requérante a fait valoir que les pièces réunies au
dossier ne permettaient nullement de justifier la prévention d’abus de confiance (…) qu’en se déterminant comme elle l’a fait, sans répondre aux chefs péremptoires desdites conclusions, la cour a derechef privé sa décision de motif ;
4°/ alors que une même opération ne peut faire l’objet d’une double déclaration de culpabilité au titre d’un abus
de confiance au préjudice du bénéficiaire prétendu d’un virement, et au titre de l’escroquerie au préjudice de la
banque qui a versé les fonds ; qu’en retenant la culpabilité de la requérante pour ces deux qualifications
correspondant à un même fait indivisible, la cour a violé ne bis in idem ;
5°/ alors que la requérante n’a pu être retenue dans les liens de la prévention d’usage de faux pour des faits situés
à l’extérieur de la période strictement visée par la prévention. »
La cour de cassation a répondu :
Sur le moyen, pris en ses deux premières branches
Pour déclarer Mme Ghziel coupable d’aide à l’entrée et au séjour irréguliers de personnes de nationalité étrangère
sur le territoire français, l’arrêt attaqué énonce qu’elle a organisé la venue de ressortissants irakiens en Guyane, à
l’aide de faux passeports grecs remis en Irak, leur permettant de passer par la Turquie pour se rendre au Brésil.
Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile réprime toute aide au séjour irrégulier (…) sans faire de différence selon que le bénéficiaire de l’aide arrive en France par un pays appartenant ou non à l’espace Schengen
En l’état de ces motifs, la cour d’appel a justifié sa décision.
En effet, d’une part, l’alinéa 1er de l’article L. 622-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit
d’asile réprime toute aide au séjour irrégulier d’une personne de nationalité étrangère sur le territoire français,
sans faire de différence selon que le bénéficiaire de l’aide arrive en France par un pays appartenant ou non à
l’espace Schengen.
La demanderesse avait obtenu une somme d’argent pour venir en aide aux membres de cette famille
D’autre part, si la cour d’appel énonce que la prévenue a commis cette infraction en donnant à la famille (…)
des informations sur la marche à suivre pour solliciter l’asile politique en France dès le passage de la frontière
brésilienne, l’arrêt retient aussi que la demanderesse avait obtenu une somme d’argent pour venir en aide aux
membres de cette famille, ce qui ne lui permettait pas de bénéficier de l’immunité établie par l’article L. 622-4, 3°
du code précité, en faveur des personnes qui fournissent des conseils juridiques sans aucune contrepartie directe
ou indirecte.
Les griefs ne peuvent donc être accueillis, conclut la Cour de cassation.
Sur le moyen, pris en sa cinquième branche.
Mme Ghziel a été poursuivie pour avoir fait usage de documents administratifs falsifiés : «en juillet 2015, en tout
cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription». Elle a soutenu qu’elle ne pouvait être
déclarée coupable de cette infraction, car elle n’avait pu faire usage de ces documents qu’au mois de juin 2015, et
non en juillet. Pour rejeter cette argumentation et la déclarer coupable, la cour d’appel retient qu’elle est à l’origine
de la commande et de la fabrication de ces faux documents et qu’elle en a fait usage en les remettant à leurs
prétendus titulaires pour qu’ils puissent justifier de leur identité. L’arrêt ajoute qu’il convient de retenir le visa, par
la poursuite, du temps non couvert par la prescription.
En l’état de ces motifs qui établissent qu’aucune incertitude ne pouvait exister, dans l’esprit de la prévenue, sur
la date des faits qui lui sont reprochés, la cour d’appel a justifié sa décision, sans encourir le grief allégué, l’erreur
sur la date n’ayant pas porté atteinte aux droits de la demanderesse.
Mais sur le moyen, pris en ses troisième et quatrième branches :
Vu le principe ne bis in idem :
Selon le principe précité, des faits qui procèdent de manière indissociable d’une action unique caractérisée par
une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité
de nature pénale, fussent-elles concomitantes.
Il résulte de l’arrêt attaqué que, pour déclarer Mme Ghziel coupable d’abus de confiance, la cour d’appel relève
qu’elle a utilisé, pour obtenir, de la société Western Union, le versement de la somme de 1 700 euros, le passeport
de M. Hasan , qu’elle a détourné en l’utilisant à son insu, alors qu’il ne lui avait été remis que pour qu’elle en fasse un
usage déterminé, en l’espèce pour constituer un dossier de demande d’asile au nom de son titulaire.
La cour d’appel a aussi déclaré la prévenue coupable d’avoir commis une escroquerie au préjudice de la
société Western Union, en employant des manœuvres frauduleuses, constituées par l’utilisation du nom de M. Hasan
et de son passeport, pour obtenir la somme de 1 700 euros.
En prononçant ainsi deux déclarations de culpabilité à raison du même fait d’usage frauduleux du passeport
de M. Hasan, la cour d’appel a méconnu le principe susvisé.
La cassation est donc encourue. Elle sera limitée aux dispositions de l’arrêt relatives aux deux déclarations de
culpabilité de Mme Ghziel pour abus de confiance et pour escroquerie au préjudice de la société Western Union et à
la peine, toutes autres dispositions de l’arrêt demeurant expressément maintenues.
La Cour CASSE et ANNULE l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Cayenne, en date du 7 février 2019, mais en ses seules dispositions relatives à la culpabilité du délit d’abus de confiance, du délit d’escroquerie commis au préjudice de la société Western Union et à la peine, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu’il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
renvoie la cause et les parties devant la cour d’appel de Cayenne autrement composée, à ce désignée par
délibération spéciale prise en chambre du conseil, précise l’arrêt de la Cour de cassation.
Madame Madjoulin Ghziel est donc, sur le territoire français, définitivement condamnée à l’aide à l’entrée et au séjour irrégulier de personnes de nationalité étrangère et pour usage de faux.
La Cour d’appel (à une date qui n’est pas encore fixée, a-t-on appris auprès de Laurent Fekkar) se penchera de nouveau sur les infractions reprochées d’abus de confiance et d’escroquerie ainsi que sur la peine.
Ce n’est pas quelque chose de moralement répréhensible que d’aider son prochain (Me Jérôme Gay)
Pour maître Jérôme Gay : «je suis content que la Cour de cassation ait partiellement fait droit à nos requêtes sur les points de droit que l’on avait dénoncés. Sur le fond, on est toujours complètement dans la défense de notre cliente dont nous sommes persuadés qu’elle est innocente.»
Nous lui faisons alors remarquer qu’ont été cassées les infractions d’abus de confiance et d’escroquerie mais que l’aide au séjour et l’usage de faux sont définitifs : «Si c’est définitif, ce sera définitif effectivement mais ce que je veux dire c’est que le plus important pour le respect de la dignité d’une personne c’est de ne pas être accusée à tort d’avoir abusé de la confiance de quelqu’un ou d’être un escroc. Après le faux, l’aide au séjour ce n’est pas quelque chose de moralement répréhensible que d’aider son prochain ».
FF
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