Au chevet des centres de santé
Les réactions ne tarissent pas suite au pavé lancé par un infirmier quant aux conditions de soins et de travail dans le centre de santé de Taluen. Le malaise est connu des autorités depuis longtemps, une mission d’évaluation a été menée par l’agence régionale de santé en novembre-décembre 2011, pour tenter d’y voir plus clair. Les résultats ne sont pas encore connus mais laissent présager de réels dysfonctionnements. C’est une chaîne de solidarité solide autour de l’infirmier de Taluen qui s’est mise en place depuis la médiatisation de son témoignage (Guyaweb du 6 avril) sur la situation « préoccupante pour la…
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Lettre du Docteur K. Hembert
» Essayer de soigner en Guyane, c’est être confronté au quotidien à l’hégémonie
autocratique de quelques métropolitains qui centralisent les pouvoirs ainsi qu’à une
xénophobie séculaire, qui décime les populations autochtones et exploite ouvertement
des êtres humains invisibles, parqués dans des ghettos insalubres à 2 pas des villas
de luxe.
L’omerta, établie par un petit nombre de privilégiés qui profitent très grassement
de ce rapport de forces colonialiste, recouvre d’une chape de plomb abrutissante les
réalités de la Guyane, censée être un territoire républicain français.
Une poignée de militants humanistes tentent de lutter contre la corruption et les
collusions qui font, in fine, avorter tout projet de développement durable.
Ce que nous constatons en travaillant dans les CDPS (Centres délocalisés de
prévention et de soins) dépasse l’entendement : tout y est fait en dépit du bon sens
primaire. Des primes ajoutées à des salaires indécents, officiellement pour pallier
au déficit chronique en ressources humaines qualifiées, contribuent à pérenniser
cette loi du silence.
En dehors du littoral & de quelques interventions associatives, la cacophonie règne
dans la prise
en charge des IST dont le VIH, parangon des inepties et de la gabegie qui
gangrènent le système de soins. D’où mon courrier officiel ci-dessous, envoyé à
l’ARS & à quelques acteurs locaux en septembre dernier (anonymisé pour des raisons
de confidentialité médicale).
Notre collègue et ami François Groud vient de dénoncer dans les médias locaux la
situation scandaleuse à Taluen.
Il a été démis de ses fonctions immédiatement par la direction du CHAR (Centre
hospitalier Andrée Rosemont – Cayenne), sous le prétexte fallacieux de rupture de
contrat concernant son devoir de réserve ?! »
Obstacles à la prise en charge globale de l’Infection à HIV dans les CDPS
Monsieur …,
Depuis ma prise de fonction en tant que praticien hospitalier dans les centres
délocalisés de prévention et de soins (CDPS) en avril dernier, des obstacles majeurs
ont empêché à plusieurs reprises la prise en charge correcte de patients vulnérables
déjà infectés ou exposés au risque d’infections sexuellement transmissibles dont
l’infection à VIH.
Dès le 11 mai, confrontée à la problématique de viols sur des mineures âgées de 2 à
13 ans, sur la commune d’…. (N° dossier xxx XXX ; XXXX, XXXX et XXXX), j’ai
constaté :
– l’absence de reconnaissance du statut de victime : les viols sur mineurs,
comme les violences sexuelles quotidiennes faites aux femmes sont considérés par
certains interlocuteurs métropolitains comme ‘un phénomène culturel’ qu’il faudrait
‘respecter’ – ce qui est contredit par l’ensemble des représentants et leaders
traditionnels de la communauté bushinengué que j’ai rencontrés et interrogés à ce
sujet
– l’absence de protocoles de prise en charge médicale des victimes
– l’absence de protocole AES et de kits d’antirétroviraux (ARV) destinés aux
victimes dans la dotation de la pharmacie,
– l’absence de dotation pharmacie appropriée : seul est disponible et peut être
commandé officiellement 1 kit d’ARV destiné au soignant en cas d’AES (posologies
pour 1 adulte, pour 24h) ,ce qui est inapproprié pour la plupart des sites isolées
où le réapprovisionnement en médicaments et/ou d’où les évacuations – hors urgences
vitales – nécessitent plusieurs jours (voire des semaines pour les commandes
pharmacie ‘urgentes’)
– l’absence de moyen logistique pour référer les victimes en temps utiles
afin qu’elles puissent bénéficier des examens d’expertise médico-légale et des
traitements prophylactiques adéquats non disponibles sur site
– l’absence de ressource pour la prise en charge médico-psycho-sociale à
moyen / long terme
– l’absence d’item de cotation approprié sur le logiciel Lotus (les items
Y05 et Y07 ont été ajoutés sur mon insistance, en juillet), ce motif de consultation
n’apparait donc dans aucun rapport des activités médicales des centres, ce qui
empêche une évaluation quantitative des patients concernés donc des ressources à
mobiliser
Le 21 aout à …. , lors de la prise en charge d’un patient qui nécessitait
immédiatement des ARV dans le cadre d’une prophylaxie post-exposition à risque
majeur (N° Dossier : xxx YY), j’ai constaté :
– l’absence de protocole d’AES également sur ce site
– l’absence de tout kit d’ARV dans la pharmacie, y compris en cas d’AES pour
un soignant alors que les activités médicales et les conditions de vie sur sites
délocalisés exposent en permanence l’ensemble du personnel à un risque d’exposition
très élevé (accouchements sur site de parturientes exploitées sur camps d’orpaillage
illégaux, multiples rixes dans des contextes d’alcoolisation et de toxicomanies,
règlements de compte à l’arme blanche ou par armes à feu entre
garimpeiros/population civile/forces de l’ordre etc…)
A …. comme à …., les membres du personnel infirmier ignoraient la conduite à
tenir en cas d’accident d’exposition aux liquides biologiques, y compris pour
eux-mêmes, alors que ce personnel est isolé et a la responsabilité d’évaluer
l’urgence et de différer la consultation médicale donc la prise en charge des
patients si ceux-ci se présentent en dehors des heures de consultations médicales
officielles (à savoir de 9 à 14h30).
En l’occurrence, le patient de xxx YY avait donc été initialement renvoyé à domicile
avec l’information de revenir dans le courant de la semaine suivante pour réaliser
des sérologies.
J’ai informé et sollicité à plusieurs reprises les responsables concernés au Centre
Hospitalier de Cayenne, mais l’obstacle majeur avancé est l’absence de ressource
financière qui permettrait d’augmenter la dotation de pharmacie : en conséquence, à
ce jour, et malgré le mail que j’ai adressé à l’ensemble des intervenants concernés
le 21 aout, aucun kit ARV n’est disponible dans la pharmacie du Centre de Soins de
Maripasoula.
Je me permets donc de vous interpeller directement à ce sujet.
Je tiens également à porter à votre connaissance que, pour les mêmes motifs, la
prise en charge correcte des infections sexuellement transmissibles et des hépatites
est impossible dans les centres de santé délocalisés.
En résumé, l’une des priorités de santé publique en Guyane est l’épidémie de VIH, et
l’intervention de dépistage universel par test d’orientation diagnostique rapide a
été promue prioritaire, alors que les pré-requis fondamentaux recommandés par tous
les guidelines sur le sujet ne sont pas acquis dans les CDSP, à savoir notamment :
– la promotion de l’usage et la distribution à large échelle des
préservatifs dont la dotation est insuffisante et qui sont par exemple rationnés à 3
par consultants demandeurs au centre de soins de Maripasoula, alors que la majorité
des bénéficiaires adhèrent à ce moyen de prévention quand il leur est proposé et
présenté systématiquement ;
– le conseil et la proposition de dépistage systématique à l’initiative des
soignants (par les moyens actuellement disponibles dans tous les centres i.e. la
sérologie), pour tous les consultants : pour l’instant, cette proposition cible
quasi exclusivement les patients qui présentent des signes cliniques suspects ou des
personnes en situation de séjour irrégulier , pourtant souvent depuis plusieurs
années sur le territoire, victimes de jugement de valeur ostensible y compris de la
part de membres du personnel soignant ou accueillant ; ce qui rend très improbable
le retour du patient au centre de soins pour la remise du résultat, même lorsqu’il
accepte finalement ce dépistage proposé en consultation médicale. La généralisation
du
TROD n’est pas pertinente dans ces conditions relationnelles délétères qui
favorisent la stigmatisation et le rejet des personnes les plus à risque;
– le dépistage systématique et la prise en charge adéquate, préventive et
curative, de l’ensemble des infections sexuellement transmissibles et des hépatites,
y compris pour les patients sans couverture sociale et/ou en situation de séjour
irrégulier (le traitement des IST en monodoses par approche syndromique ne fait
actuellement pas partie de la dotation pharmacie) ;
– la disponibilité sur site des protocoles et des moyens de prise en charge
effective de toutes les expositions, dont les accidents d’exposition aux liquides
biologiques concernant les soignants, mais également les violences sexuelles,
particulièrement fréquentes et qui concernent tout particulièrement les mineures (cf
le nombre de grossesses non désirées extrêmement élevé chez les mineures) ;
– la disponibilité sur site des moyens de prévention et de traitement des
principales infections opportunistes pour les personnes séropositives pour le VIH
(ex : dotation en cotrimoxazole ; vaccins contre le pneumocoque …) et des
pathologies spécifiques à ce département (ex : distribution à large échelle de
moustiquaires imprégnées), y compris pour les patients sans couverture sociale et/ou
en situation de séjour irrégulier ;
– la volonté politique pérenne d’une prise en charge globale (dont la
reconnaissance et la prévention des violences sexuelles, mais aussi l’accès à l’eau
potable, l’assainissement, l’éducation à l’hygiène,…)
Je me permets d’argumenter le dernier item, qui me semble prioritaire : la promotion
et la valorisation de pairs-éducateurs et d’agents de santé communautaire
appartenant aux différentes communautés culturelles.
L’obstacle majeur à l’implémentation et au suivi des protocoles de prise en charge
validés sur le plan national et international est le fait que l’ensemble des
activités des centres de santé repose exclusivement sur un personnel expatrié
‘intérimaire’, dont les connaissances, les formations et les motivations en général
,et dans ce domaine spécialisé en particulier, sont particulièrement hétérogènes.
Le critère de recrutement principal est la capacité et/ou la volonté de gérer des
urgences médicales. Hors ces urgences sont relativement rares, comparées aux besoins
en soins de santé primaire et en éducation thérapeutique pour les patients
chroniques.
Le turn-over beaucoup trop rapide et les antécédents fréquents de graves
dysfonctionnements personnel et/ou professionnel de certains employés expatriés,
dysfonctionnements dont les populations sont témoins et qu’elles gardent en
mémoire, rendent difficile une réelle relation de confiance entre un expatrié et
les consultants, y compris pour un soignant expérimenté et motivé.
En plus des connaissances théoriques médicales et d’une attitude exempte de tout
jugement, le counseling exige une maitrise de la langue d’usage du consultant, une
connaissance des pratiques sexuelles spécifiques à la communauté concernée (le
multipartenariat ‘culturel’ caribéen est bien documenté et fait l’objet de jugement
de valeur contre-productifs de la part de la majorité du personnel métropolitain; et
les pratiques à risque qui nécessitent une compréhension et une prise en charge
particulière comme les toilettes vaginales quotidiennes par décoctions astringentes
ou le port de ‘dominos’ implantés sans aucune hygiène sous l’épiderme du pénis, sont
ignorées au mieux, mais le plus souvent considérées selon une grille de lecture
raciste de supériorité intellectuelle du métropolitain).
En conséquence : seuls des pairs, membres de la communauté et présents de façon
pérenne sur les sites peuvent comprendre, aborder et envisager, en partenariat avec
le patient, les modifications de comportement qui permettront une réduction des
risques.
Certains agents de santé communautaire et/ou pairs potentiels sont déjà salariés des
centres de santé : ils présentent des connaissances pratiques, la maitrise de
plusieurs langues, une attitude empathique et ont gagné le respect au sein de leur
communauté autant que parmi des membres d’autres communautés (ex : Madame T.,
Monsieur L et Monsieur O.) ; cependant, ce potentiel n’est ni reconnu ni valorisé et
ils/elles sont cantonné(e)s à des taches subalternes démotivantes.
Au-delà des ressources financières nécessaires pour la dotation en pharmacie, je
vous remercie à l’avance de bien vouloir considérer cette problématique des
ressources humaines inadaptées aux réels besoins des consultants, problématique qui
concerne la prise en charge des infections sexuellement transmissibles, dont
l’infection à VIH, mais également le suivi des très nombreux patients qui ont des
pathologies chroniques (HTA, diabète, drépanocytose…) mais ne sont pas adhérents aux
traitements faute d’éducation thérapeutique et de suivi approprié.
Je me tiens à votre disposition pour tout renseignement complémentaire et vous
transmettre l’ensemble des références bibliographiques sur les sujets abordés dans
ce courrier.
Veuillez agréer, Monsieur …, mes salutations respectueuses,
Dr K. Hembert
Super commentaire !!!! A suivre
je tiens à réagir aussi car il ne faut par croire que dans les « grandes villes » la population est mieux soigné, ce n’est que du paraître. Certes les conditions environnementales sont moins graves et laissé au bon plaisir de la nature( avec pour seul ressource de lutte le système D), mais il n’en reste pas moins inquiétant.
Des professionnels investit dans leur métier mais que l’on restreint parce qu’il disent tout haut les besoins et les manques qui leur font défaut dans le bon exercice de leur vocation, et donc mettent à mal leur direction administrative hospitalière et même ministérielle. D’autres professionnels beaucoup moins investit qui se croient en vacance surtout dans les hôpitaux des dom-tom, et qui considère leur profession avec très peu de sérieux et de rigueur: ce qui aboutit malheureusement par des erreurs que seul le patient paye et parfois au prix de sa vie.
Pardon d’être scandalisé par cet état de fait mais également par le début de la réaction du Dr HEMBERT,
Je cite : « Essayer de soigner en Guyane, c’est être confronté au quotidien à l’hégémonie autocratique de quelques métropolitains qui centralisent les pouvoirs ainsi qu’à une xénophobie séculaire, qui décime les populations autochtones et exploite ouvertement des êtres humains invisibles, parqués dans des ghettos insalubres à 2 pas des villas de luxe.
L’omerta, établie par un petit nombre de privilégiés qui profitent très grassement de ce rapport de forces colonialiste, recouvre d’une chape de plomb abrutissante les réalités de la Guyane, censée être un territoire républicain français. »
On arrive à trouver en quelques phrases les mots « métropolitains, xénophobie, décime les populations autochtones, exploite, parqués, priviligiés, colonialiste….
On se demande où est la xénophobie alors que c’est vous qui tirez à boulets rouges sur une partie bien ciblée de la population…
Les seuls vais autochtones ici en Guyane sont les Amérindiens, Tous les autres ne sont que des populations immigrantes (de gré ou de force).
Nous savons bien que la »civilisation occidentale » est responsable de tous les maux sur Terre, l’esclavagisme (pratiqué bien avant les Européens dans toutes les contrées du monde…) les guerres (là aussi sans aucune exclusivité Européenne…) etc…
Cependant, depuis leur émancipation, certaines populations ont tout de même du mal à se prendre en main et à aller de l’avant, à eux aussi à faire le boulot pour s’en sortir !
Personnellement je trouve scandaleux ce qui se passe dans les centres de santé mais également scandaleux de tenter d’opposer les différentes communautés … cela ne viendrait-il pas, tout simplement d’un manque évident de moyens financiers ou d’un manque d’intérêt des politiques locaux?
Arrêtez un peu de vouloir monter les uns contre les autres…
Cordialement