Présenté le 28 novembre devant la Commission développement durable et aménagement du territoire de l’Assemblée nationale, un rapport d’information faisant suite à une mission de députés sur l’aménagement de la Guyane formule 11 recommandations urgentes pour sortir le territoire de son « sous-aménagement« .
« Nous sommes quatre co-rapporteurs transpartisans, de partis différents, mais nous sommes tous tombés sur une conclusion commune : il est urgent d’aménager la Guyane où en 500 ans de présence de l’Etat français seuls 440 km de routes nationales ont été réalisés. »
Devant la Commission développement durable et aménagement du territoire de l’Assemblée nationale dans laquelle il siège, le député Jean-Victor Castor a profité de la remise du rapport d’information de cette même commission sur l’aménagement de la Guyane pour faire de cette séquence politique une tribune en faveur du développement de notre département.
Le député de la 1ère circonscription de Guyane est d’ailleurs à l’initiative de cette mission d’information de l’Assemblée nationale, conduite sur le territoire du 17 au 22 septembre 2023 au travers de 25 entretiens. Un rapport de 119 pages en découle et a été présenté mardi 28 novembre puis mis en ligne mercredi sur le site de l’Assemblée nationale, une fois validé par les députés siégeant dans cette commission.
Ce rapport est pour le moins cinglant sur les « abandons et paradoxes du territoire » énonce la co-rapporteure Clémence Guetté (LFI-Nupes, Val-de-Marne). « 13 à 20% de la population n’a pas d’électricité, un habitant sur cinq n’a pas d’accès à l’eau. Sur place, c’est le sentiment d’un immense gâchis qui prédomine face à la situation économique du fait du manque de formations et d’accès au foncier.«
« La Guyane, c’est le territoire de l’excellence du spatial et en même temps, pour aller à Maripasoula, distante de 205 kilomètres de Saint-Laurent-du-Maroni, il n’y a pas de route« , ajoute le co-rapporteur Gérard Leseul (SOC, Seine-Maritime). « De nombreux Guyanais n’ont pas accès aux services publics de base. »
Ambitieuse, la mission parlementaire, à partir de ces constats, s’est fixée comme objectif de réduire les fractures territoriales d’une Guyane « pas encore aménagée, mais sous-aménagée » estime le président de cette mission, le député Renaissance des Bouches-du-Rhône Jean-Marc Zulesi.
La Guyane, terre de paradoxes
« Le défi posé aux pouvoirs publics est clair« , écrit-il en avant-propos de ce rapport d’information dense et précis. Il faut « réussir à planifier le développement de la Guyane de manière concertée, ou subir un aménagement spontané et informel, faisant peser un risque de destruction graduelle de la forêt et obligeant les élus à agir en réaction à la croissance démographique, non en anticipation. » Selon le parlementaire, le défi n’est pas évident à relever « tant il existe d’obstacles et il prend l’apparence d’une course contre la montre« .
Peuplée officiellement de 285 000 habitants en 2020, la Guyane pourrait compter de 450 000 à 600 000 habitants en 2050. « Elle a donc besoin d’une politique d’aménagement qui rattrape ses retards en équipements de base. Longtemps sous-peuplée, la Guyane connaît avec son dynamisme démographique des mutations plus rapides qu’elle n’en a jamais enregistrées dans sa longue histoire« , analyse le rapport d’information.
Il en résulte de nombreux paradoxes tels que « la coexistence de zones très modernes comme la base de Kourou et des habitats de fortune. Une situation que l’on observe dans les pays en développement. » Par ailleurs, la « Guyane dispose d’un vaste territoire par rapport à sa population. La densité moyenne de population y est très basse, mais en raison de la protection de la forêt, l’offre foncière y est rare« .
Enfin, « bien que disposant de nombreuses richesses naturelles, la Guyane les valorise difficilement. La rareté de l’offre foncière, la protection de la forêt, l’étroitesse d’un marché local peu connecté au bassin de population plus large que forment avec elle le Suriname, le Guyana et le Nord du Brésil limitent le développement économique« .
Mais l’objectif de l’aménagement de la Guyane « ne doit pas se limiter à l’équiper« , alertent les co-rapporteurs. « Il s’agit surtout de réunifier un territoire à la fois enclavé et spatialement fracturé, de le relier à ses voisins d’Amérique latine, de redresser l’ensemble d’une situation sociale… » Tel est l’objectif visé par leurs préconisations.
11 recommandations
Au nombre de onze, ces recommandations sont organisées en quatre axes : le développement des transports aériens et routiers, le développement durable et une exploitation raisonnée de la forêt, une lutte plus offensive contre l’orpaillage illégal, et un quatrième pilier sur l’adaptation des normes françaises et européennes aux spécificités de la Guyane.
« Les problèmes auxquels la Guyane est confrontée sont multiples et complexes« , écrivent en conclusion les co-rapporteurs qui ont défini leurs priorités absolues pour un aménagement équilibré du territoire.
Pour ces derniers, il faut accélérer la restitution du foncier, aujourd’hui très éloignée des engagements de l’Accord de Guyane de 2017. Il est aussi urgent de désenclaver le territoire par un réseau routier équipé d’ouvrages d’art et, à très court terme, rétablir et améliorer les liaisons aériennes intérieures « qui ne compense pas la faiblesse de l’équipement routier« . Il est aussi nécessaire de développer la multimodalité des transports sur le territoire en résolvant le problème juridique de la navigabilité des fleuves. En effet, étant à leur état naturel, les fleuves de Guyane, véritables voies de circulation pour des milliers de personnes, ne sont officiellement pas navigables.
Selon les auteurs de ce rapport d’information, il est également urgent de garantir l’accès de la population à l’ensemble des services publics de base (eau potable, électricité, éducation, santé, sécurité) ; de mieux intégrer la Guyane dans son environnement institutionnel régional ; de valoriser une exploitation raisonnée de la forêt : filière bois, biodiversité, etc… ; de poursuivre le développement des énergies renouvelables et de moderniser le réseau de distribution d’électricité.
Il faut également renforcer les mesures d’éradication de l’extraction illégale et surtout accompagner la relance de l’extraction légale de l’or et des autres filières minières « à la condition que les projets emportent l’adhésion des populations et des institutions locales et respectent la législation environnementale« . L’unique réponse répressive a montré « toutes ses limites » écrivent-ils.
Enfin, sujet cher au député Castor, il faut poursuivre le processus d’adaptation des normes européennes et nationales à la Guyane et d’évolution statutaire, conformément à la volonté exprimée par le Congrès des élus de Guyane recommande le rapport, qui demande également d’inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale une loi de programmation sur la Guyane pour planifier sur plusieurs années l’aménagement du territoire et son rattrapage infrastructurel.
Il y a besoin d’une « loi de programmation à part entière » souligne la députée insoumise Clémence Guetté car « la politique d’aménagement du territoire en Guyane ne peut ressembler à aucune de celles à l’œuvre dans l’Hexagone« . Sous-équipée, la Guyane a besoin de rattrapages dans de nombreux domaines. Les rapporteurs proposent de concentrer les investissements publics sur ceux qui ont un impact sur le développement économique et social : transports, énergie, agriculture, logement, éducation et santé. « Il s’agit de transformer la croissance démographique en atout, et non de la subir comme une difficulté« , écrivent-ils.
« La condition préalable est de disposer de ressources foncières en portant le moins possible atteinte à la forêt primaire. L’urgence de ce rattrapage exige sans doute des adaptations de la législation. » Car il s’agit bien d’urgence pour les co-rapporteurs, dont le député Jean-Victor Castor : « la Guyane est engagée dans une course contre la montre. Elle va s’aménager qu’on le veuille ou non : soit raisonnée par l’action publique, soit par les réseaux informels. Le chaos va se généraliser si nous n’agissons pas aujourd’hui. J’espère que ce rapport va permettre aux députés de se rendre compte des réalités des Guyanais.«
Mardi 28 novembre, les échanges avec les députés de la commission développement durable et aménagement du territoire se sont d’ailleurs conclus ainsi : il faut que ce rapport débouche sur une dynamique parlementaire, « qu’il y ait des suites à ce travail et que ce ne soit pas un énième rapport« , a insisté la députée LFI Clémence Guetté. « J’espère que nous appuierons Jean-Victor Castor et Davy Rimane à l’avenir dès qu’ils nous alerterons sur la Guyane. » Il ne reste plus que 575 députés à convaincre.
Photo : le député Jean-Victor Castor, co-rapporteur de la mission d’information, mardi 28 novembre lors de la présentation de ce document devant la commission développement durable et aménagement du territoire de l’Assemblée nationale © Capture d’écran Assemblée nationale
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