Samedi 23 Novembre

Le Conseil constitutionnel refuse que soit étendu de 5 à 15 ans le temps de détention d’un titre de séjour avant d’avoir droit au RSA pour les étrangers non européens de Guyane

Le Conseil constitutionnel refuse que soit étendu de 5 à 15 ans le temps de détention d’un titre de séjour avant d’avoir droit au RSA pour les étrangers non européens de Guyane

Le revenu de solidarité active a pour principal objet d’inciter à l’exercice ou à la reprise d’une activité professionnelle

«Toutefois, d’une part, le revenu de solidarité active a pour principal objet d’inciter à l’exercice ou à la reprise d’une activité professionnelle. Le législateur a pu estimer que la stabilité de la présence sur le territoire national était une des conditions essentielles à l’insertion professionnelle et, à ce titre, imposer aux étrangers un délai de détention d’un titre de séjour les autorisant à travailler pour obtenir le bénéfice de celle-ci. », analysent les Sages.

«En revanche, en imposant un délai de détention plus long en Guyane que sur le reste du territoire national, aux seules fins de lutte contre l’immigration irrégulière, le législateur a introduit une condition spécifique pour l’obtention de cette prestation sans lien pertinent avec l’objet de celle-ci. », estiment-ils.

S’il appartient au législateur de définir les mesures qu’il estime utiles pour lutter contre l’immigration irrégulière, la différence de traitement instituée pour l’accès au revenu de solidarité active ne saurait être regardée comme justifiée au regard de l’objet de la loi

«D’autre part, les dispositions contestées s’appliquent, en Guyane, à l’ensemble des étrangers en situation régulière, y compris à ceux légalement entrés sur son territoire et s’y étant régulièrement maintenus de manière continue. Elles s’appliquent également à des étrangers résidant en Guyane ayant résidé précédemment sur une autre partie du territoire national en ayant un titre de séjour les autorisant à travailler. », souligne encore le Conseil constitutionnel.

«Dès lors, s’il appartient au législateur de définir les mesures qu’il estime utiles pour lutter contre l’immigration irrégulière, la différence de traitement instituée pour l’accès au revenu de solidarité active ne saurait être regardée comme justifiée au regard de l’objet de la loi. En outre, elle dépasse la mesure des adaptations susceptibles d’être justifiées par les caractéristiques et contraintes particulières de la collectivité de Guyane.», tranchent les Sages.

Le Conseil constitutionnel a dès lors considéré que les deux mesures précitées spécifiques à la Guyane en matière de RSA «sont contraires à la Constitution».

Dans un communiqué commun mis en ligne vendredi, le ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire, et celui de l’Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, n’y voient pourtant, en ce qui concerne la Guyane, que l’annulation d’une des deux mesures de la loi relative au RSA : « le Conseil Constitutionnel n’a annulé que la disposition portant la durée minimale de résidence d’un étranger en situation régulière en Guyane de 5 à 15 ans pour accéder au revenu de solidarité active. Cette disposition visait notamment à lutter contre la fraude, élément indispensable pour qu’un système d’aide sociale fonctionne correctement. Le gouvernement est déterminé à poursuivre les actions de lutte contre la fraude, en particulier dans le cadre de la recentralisation du RSA réalisée en Guyane et à Mayotte.»

Or, la décision du Conseil constitutionnel renvoie manifestement aux deux mesures initialement prévues pour la Guyane au regard de ce paragraphe : « les troisième à cinquième alinéas (1) du paragraphe I de l’article 81, qui méconnaissent ainsi le principe d’égalité devant la loi, sont contraires à la Constitution. Il en va de même, par voie de conséquence, des 1° et 2° du paragraphe IV de ce même article, qui en sont indissociables. »

Autrement dit : d’une part,faire passer de 5 à 15 ans le temps minimal de possession d’un titre de séjour pour pouvoir y bénéficier du RSA, en ce qui concerne notamment les étrangers non européens.

Et, d’autre part, instaurer un délai de 5 ans (contre une absence de délai auparavant dans ces cas de figure) avant de permettre l’octroi du RSA à une personne étrangère non européenne en situation isolée avec enfants à charge ou à une femme enceinte étrangère isolée (et non européenne).

Ces deux mesures d’exception sont donc censurées.

Cette condition n’est certes pas de la ‘préférence nationale’ (ou européenne) d’un strict point de vue juridique mais elle en a les effets

Le 10 octobre dernier, dans un communiqué, des associations humanitaires (Aides, Cimade, Comede, Fasti, Gisti, Ligue des droits de l’Homme (LDH), Section de Cayenne de la LDH, Médecins du Monde) estimaient que l’extension du délai de 5 à 15 ans (alors au stade de projet de loi) en Guyane reviendrait «de fait à exclure du RSA les personnes étrangères, même celles résidant avec un titre de séjour depuis très longtemps. En raison des pratiques des préfectures, en effet, il est impossible de pouvoir justifier d’une continuité complète durant une durée aussi exorbitante, car lors du renouvellement des titres de séjour, interviennent des ruptures, de quelques semaines à quelques mois, faisant ‘repartir les compteurs zéro’ pour l’acquisition de la durée exigée. L’exclusion de fait des personnes étrangères pour l’accès au RSA, qui s’observe déjà de plus en plus souvent en métropole, alors que l’exigence d’antériorité ininterrompue de titres n’est ‘que’ de cinq années, sera systématique en Guyane».

«Cette condition n’est certes pas de la ‘ préférence nationale ‘ (ou européenne) d’un strict point de vue juridique mais elle en a les effets. Contraire aux principes d’égalité et de non discrimination, sa légalité est probablement très douteuse au regard de la Constitution ou des textes internationaux : dans un avis portant sur le projet d’ordonnance d’extension du RSA à Mayotte, le Conseil d’État avait d’ailleurs considéré qu’une condition de quinze années méconnaîtrait le principe d’égalité constitutionnel», poursuivaient alors les humanitaires.

«Le gouvernement doit cesser de faire siennes les revendications de l’extrême droite», concluait alors le communiqué des associations humanitaires.

En juillet 2017, la Chambre régionale des comptes (CRC) avait pointé une particularité toute autre en Guyane et pas du tout anodine : une carence de contrôle du conseil général à l’époque où cette collectivité avait la charge du RSA et ce jusque fin 2015 (la Chambre régionale des comptes ne s’est pas penchée, à ce jour, sur l’action de la CTG depuis 2016 en la matière).

En effet, si l’on en croit les magistrats de la CRC, le Conseil général n’a pas procédé à un contrôle digne de ce nom -c’est un euphémisme- des dépenses sociales distribuées en Guyane notamment dans le cadre du RSA et du RMI en particulier de 2011 à 2015.

Dans ce décapant rapport de plus de la Chambre régionale des comptes relatif à une collectivité de Guyane, sorti fin juillet 2017, avec un Conseil général absorbé par la CTG, la Chambre relevait ainsi au chapitre RMI et RSA : « Deux constats seulement sont formulés : le département a consacré 64,1 M€ au RMI en 2010 auxquels se sont ajoutés 5 M€ de crédits d’insertion ; aucune mesure de contrôle ni de sanction ne figurent dans le bilan. Le bilan de 2011 est encore plus lacunaire. Alors que le RSA est entrée en vigueur le 1er janvier de l’année, il ne recense pas le nombre des nouveaux entrants et n’étudie aucune de leurs caractéristiques socio-économiques. Pourtant, le nombre de bénéficiaires est passé de 11 046 pour le RMI à 15 535 bénéficiaires du RSA entre décembre 2010 et mars 2011. Les résultats par antenne sont incomplets : seulement une sur quatre a communiqué son bilan. Les résultats de gestion du RSA sont faibles : – un plan de contrôle a été élaboré, 486 ont été effectués mais rien n’est dit sur leur suite ; – 62 réductions d’allocation RSA ont été prononcées en 2011 pour non-respect des engagements d’insertion (à comparer aux 5 285 bénéficiaires du RSA qui n’ont pas de contrat d’insertion) – aucune suspension ou radiation n’a été prononcée. »

Un RSA, pour la petite histoire, qui va repartir très bientôt dans le giron de l’Etat, la CTG ayant souhaité, au bout de trois ans de gestion, être exonérée de cette compétence.

FF

(1) Selon cette loi des finances sur le volet RSA pour la Guyane, «les troisième à cinquième alinéas du paragraphe I de l’article 81 exigent, pour les étrangers non ressortissants d’un État membre de l’Union européenne, d’un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui résident en Guyane, des délais spécifiques de détention d’un titre de séjour pour bénéficier du revenu de solidarité active.», note le Conseil constitutionnel qui a donc censuré cette tentative de faire évoluer la loi en la matière.

 

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6 commentaires

  • Jmc
    30 décembre 2018

    Décision logique.
    Après si l’objectif est de réduire l’attractivite du territoire, il faut mettre en place de véritables moyens d’expulsions lorsque l’ensemble des procédures de demandes d’asiles par exemple ou autres ont échouées.

  • le Jaguar
    31 décembre 2018

    Un changement de statut dans le cadre de l’article 74 de la constitution ne permettrait sans doute pas davantage ce type de modification de loi.

  • fapips86
    31 décembre 2018

    Cela montre que ces mesures étaient belle et bien démagogiques et de la poudre aux yeux. Maintenant je crois qu’il existe vraiment un problème d’immigration massive en Guyane mais les moyens humains ne sont pas donnés.
    L’article 74 n’aurait rien changé certes mais un statut suis généris sans doute.

    • le Jaguar

      un statut suis généris dans le cadre de la république restera soumis aux principes constitutionnels

  • FF

    Cette histoire pose question : un gouvernement qui porte un projet d’évolution de la loi ne dispose-t-il pas d’une armée de juristes susceptible de la rendre acceptable aux yeux du Conseil constitutionnel ?

  • Gevila973

    Habitué aux promesses non tenues le président, alors une de plus ou une de moins….

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