Le rapport consacre ensuite une partie à des faits présumés dignes d’un mauvais film d’horreur : «Des injections de sédatifs sont pratiquées par le service psychiatrique sur demande de l’administration pénitentiaire », avec 16 personnes mises sous ce type de traitement sans le suivi médical en vigueur.
«En réponse à des situations de violence ou d’agitation, il a été pratiqué vingt-six sédations sous contrainte en cellule, de janvier à octobre 2018, comme en témoigne un document interne sur l’activité de l’équipe de sécurité de l’établissement. » étaye d’abord sur ce volet le contrôleur.
«Les soins en milieu pénitentiaire ne peuvent être imposés ni se faire sous contrainte physique. Il est admis que lorsqu’une situation clinique où la vie d’un patient est en danger ou lorsque son intégrité physique est menacée, des soins sans consentement et en urgence doivent être dispensés mais ceux-ci doivent être immédiatement suivis d’une surveillance en milieu médical ou d’une hospitalisation. », rappelle ensuite le rapport.
Seize patients ont été laissés seuls en cellules après avoir subi une injection de sédatifs pouvant entrainer des complications graves…
Avant de souligner : «Or, le recensement des admissions en soins psychiatriques sur décision du représentant de l’Etat à partir de l’établissement pénitentiaire ne fait état que de dix admissions sur cette période. »
«Il faut donc conclure que seize patients ont été laissés seuls en cellules après avoir subi une injection de sédatifs pouvant entrainer des complications graves voire mortelles.», ajoute Adeline Hazan.
«L’équipe d’infirmiers de l’unité de psychiatrie se dissocie de cette pratique dont elle laisse l’entière responsabilité au médecin psychiatre en refusant de l’assister dans cet acte réalisé à la demande de l’administration pénitentiaire.», décrit ensuite le rapport.
«Il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité thérapeutique et le consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherché dans tous les cas. Des injections sous contrainte, ne peuvent être effectuées que si une situation clinique l’impose ou si l’intégrité physique de la personne risque d’être menacée ; une hospitalisation doit immédiatement s’ensuivre. La pratique actuelle doit donc cesser.», somme, là encore, le contrôleur qui rappelle plus loin que «L’article L. 3214-1 du code de la santé publique ne prévoit aucune autre forme de soins sans consentement que l’hospitalisation complète».
Alertée par le recours d’une personne détenue se plaignant auprès du tribunal administratif de Cayenne d’avoir été ‘sédatée’ de force (…), la directrice interrégionale a notifié au chef d’établissement l’illégalité de cette pratique (Le Garde des Sceaux)
Dans sa réponse de mardi dernier, la ministre de la justice ne réfute pas les faits et souligne même qu’«alertée par le recours d’une personne détenue se plaignant auprès du tribunal administratif de Cayenne d’avoir été ‘sédatée’ de force au quartier disciplinaire, la directrice interrégionale (des services pénitentiaires, ndlr) a notifié au chef d’établissement, par une note du 23 octobre 2018, l’illégalité de cette pratique ».
Une note donc, onze jours, après la visite du contrôleur ayant pris connaissance avec stupéfaction des faits de pratiques de soins illégales.
Il manque une dynamique commune insufflée par la direction et (…) cinq postes d’encadrement intermédiaire ne sont pas occupés, les pratiques professionnelles se dégradent, et les surveillants sont livrés à eux-mêmes, sans contrôle ni soutien
Dans la dernière partie de son rapport intitulée :« Le fonctionnement actuel de l’établissement semble être la conséquence d’un manque de personnel et d’un poids insuffisant de la direction », le rapport considère que «si le rétablissement du dialogue social a constitué une amélioration du fonctionnement du centre pénitentiaire, il reste une distance manifestement excessive entre le personnel présent dans les bâtiments de détention et la direction, alors même qu’existent des forces vives sur lesquelles celle-ci pourrait s’appuyer. »
«Dès lors qu’il manque une dynamique commune insufflée par la direction et que cinq postes d’encadrement intermédiaire ne sont pas occupés, les pratiques professionnelles se dégradent, et les surveillants sont livrés à eux-mêmes, sans contrôle ni soutien. Sans pouvoir prendre de distance avec leurs tâches, ils les réalisent de manière morcelée dans la précipitation et la tension.», poursuit le contrôleur.
«Les emplois vacants au regard de l’organigramme de référence actuel devraient être prochainement occupés. Néanmoins, cet organigramme ne paraît pas être à la hauteur des besoins qui résultent de la spécificité de la population pénale, d’un taux d’absentéisme particulièrement élevé et de la surpopulation. Sa révision après un audit détaillé s’impose», estime le rapport alors qu’une inspection générale de l’établissement a eu lieu trois ans avant cette visite d’Adeline Hazan avec des constats similaires notamment sur le taux d’absentéisme à l’époque.
«Le centre pénitentiaire de Guyane ne présente pas les conditions permettant d’accueillir la population pénale dans le respect de ses droits fondamentaux. Une réorganisation du fonctionnement de l’établissement est nécessaire, notamment pour faire cesser le climat de violence. Pour cela, l’autorité de la direction sur la détention doit être restaurée et l’effectif des fonctionnaires de l’établissement doit être porté à la hauteur des besoins », conclut le contrôleur.
Suite à ce rapport qui souligne : «la visite du Contrôleur général des lieux de privation de liberté au centre pénitentiaire (CP) de Rémire-Montjoly (…) a donné lieu au constat d’un nombre important de dysfonctionnements graves dont la réunion permet de considérer que les conditions de vie des personnes détenues constituent un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales», les actions en justice, de la part de détenus, visant à obtenir réparation du préjudice subi n’en sont très vraisemblablement qu’à leur début.
Nous l’évoquions début décembre dernier (1), alors qu’un avocat parisien, Me Etienne Noël, spécialiste de la question, venait d’obtenir la condamnation de l’Etat pour des conditions de détention à Rémire attentatoires à la dignité humaine et s’apprêtait, selon lui, à entreprendre une procédure en justice similaire pour un second détenu de l’établissement guyanais.
A l’issue de la décision du Conseil d’Etat condamnant l’Etat dans ce dossier, l’avocat nous avait confié que, dans le cas du détenu de Rémire, contrairement à ses précédentes procédures dans l’Hexagone et aux Antilles, il n’avait «pas fait procéder à une expertise de l’établissement pénitentiaire».
La justice aura considéré de fait, qu’au sein de la prison de Guyane, cela n’est pas nécessaire…
FF
(1) Lire également : Un homme incarcéré plus de 2 ans à Rémire obtient la condamnation de l’Etat à lui verser 8 500 euros pour conditions de détention «attentatoires à la dignité humaine» et… pour ses frais d’avocat
Photo de Une : une cellule au sein du centre pénitentiaire de Rémire-Montjoly, photo prise au cours de la visite du contrôleur général des lieux de privation de libertés en octobre dernier
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