Grâce à des dizaines de documents internes et au témoignage anonyme d’un haut cadre du groupe Groupe Bernard Hayot (GBH), le journal Libération révèle la structuration de l’entreprise, hégémonique en Outre-mer. Une position de force qui permet au groupe et à ses nombreuses filiales d’imposer ses prix, dans une « opacité entretenue depuis des décennies » affirme Libé.
« Marges exorbitantes, opacité financière, entorses à la concurrence« … Une enquête de Libération intitulée « Vie chère aux Antilles : les profits suspects du Groupe Bernard Hayot en outre-mer », publiée jeudi 9 janvier, passe au crible les méthodes de l’empire créé par Bernard Hayot, pointé du doigt dans la crise sociale contre la vie chère aux Antilles, mais aussi dans le reste des Outre-mer.
Le quotidien Libération a eu accès à des dizaines de documents internes et au témoignage d’un des 170 plus hauts cadres de ce groupe qui compte plus de 16 000 salariés. Omniprésent dans la grande distribution, le secteur automobile, l’industrie et l’agriculture, le groupe possède un chiffre d’affaires d’au moins 4,5 milliards d’euros, grâce à des marges nettes très importantes et à une domination économique qui écrase toute concurrence.
Par exemple, dans la branche automobile du groupe, qui représente à elle seule près de 40% de son chiffre d’affaires global, « GBH réalise 18 à 28% de marges nettes » dans nos régions, « soit 4 fois celles réalisées dans l’Hexagone sur les mêmes voitures vendues » relate Libération.
Pour justifier de telles différences de prix avec l’Hexagone, l’entreprise met systématiquement en avant les « frais d’approche » qui comprennent tous les coûts liés à l’importation des véhicules depuis le Vieux continent, notamment les charges liées au transport et à l’octroi de mer. Mais, en réalité, il n’en serait rien, selon le journaliste Emmanuel Fansten, auteur de l’enquête.
Ces coûts d’approche ne représenteraient que « 15 à 20% du prix de vente final, soit l’équivalent de la TVA dans l’Hexagone« . D’autres frais appliqués, qui profiteraient en réalité à nombre d’entreprises intermédiaires appartenant elles-mêmes à la constellation d’entreprises du GBH, permettent de dégager des marges très importantes et expliquent des prix de vente jusqu’à plus de 45% plus chers qu’en métropole.
Cette structuration permettrait d’accumuler des marges, de ventiler les bénéfices et d’alléger les comptes d’exploitation des entreprises les plus rentables. Car la multinationale est « une concentration verticale, mais aussi horizontale« . Elle vend le véhicule, mais maîtrise aussi l’entretien et les pièces détachées, « avec, là encore, des marges trois fois supérieures à la métropole » souligne Libération. Par exemple, en Guyane, le groupe GBH détient Guyane automobile, mais aussi le garage Norauto et l’entreprise de location longue durée System Lease.
« Sur chaque vente de véhicule de marque Dacia, Renault ou Hyundai, les concessions de GBH réalisent une marge nette comprise entre 18 % et 28 %, soit trois à quatre fois celles pratiquées en métropole. En clair, pour un modèle vendu aux alentours de 20 000 euros, une concession peut gagner plus de 5 000 euros net, même après les éventuelles promotions et efforts commerciaux. » (Extrait de l’enquête « Vie chère aux Antilles : les profits suspects du Groupe Bernard Hayot en outre-mer » de Libération)
Opacité des comptes
Selon le groupe Hayot, d’autres charges liées à la logistique, à la gestion des stocks ou aux coûts d’assurance contribuent à alourdir la note finale. Sans préciser qu’à nouveau, beaucoup de ces frais profitent en réalité à d’autres filiales du groupe. C’est par exemple le cas de certains prestataires appartenant à GBH, qui facturent la réception des voitures sur le port avant leur livraison dans les concessions antillaises, une « comptabilité opaque » permettant de masquer l’accumulation de marges affirme Libération.
Assigné devant le tribunal de commerce de Fort-de-France par quatre lanceurs d’alerte il y a quelques mois dans le contexte de la crise sociale sur la vie chère en Martinique , GBH a publié en catimini une partie de ses comptes en décembre. En partie seulement car le groupe Hayot n’a publié que les comptes sociaux du holding, « et non les comptes consolidés incluant ses innombrables filiales, comme l’exige pourtant la loi, et sans lesquels il est impossible de prendre la mesure des bénéfices réalisés« . Une opacité entretenue par le groupe GBH et qui « perdure depuis des décennies« .
La position oligopolistique du groupe permettrait, selon Libération, le maintien de ce modèle issu de l’économie de comptoir de la période coloniale. Un rapport commandé par Emmanuel Macron et remis en décembre à l’Elysée, dont une synthèse a été dévoilée mardi par Le Monde, dénonce cette situation « préoccupante » outre-mer et préconise un changement radical du modèle économique de ces territoires qui ne profiterait qu’aux oligopoles, en particulier dans les secteurs de l’automobile et de la grande distribution.
L’enquête de Libé pointe même des accointances politiques permettant au groupe Hayot de fausser toute concurrence sans en être inquiété.
Au lendemain de la publication de cette enquête, GBH s’est défendu par communiqué en affirmant que « les récents articles publiés par Libération ont clairement pour objectif de déstabiliser » le groupe. Selon GBH, « le problème de la vie chère est bien antérieur à l’existence de GBH [fondé en 1960] et trouve son origine dans une problématique structurelle : l’éloignement ».
À part cela, tout va pour le mieux sous les tropiques !
Photo de Une : Bernard Hayot en décembre 2024, fondateur du groupe éponyme qui domine le marché économique en Outre-mer © GBH
Pour aller plus loin, relire sur Guyaweb cet entretien sur les mécanismes de la vie chère en Outre-mer réalisé avec l’économiste réunionnais Jean-François Hoarau.
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