ONU et Croix-Rouge alertent sur la dégradation des situations sanitaire et sécuritaire en Haïti, pays en partie contrôlé par des gangs criminels qui ciblent de plus en plus les ONG médicales.
« Une dégradation rapide et sans précédent de la situation sécuritaire. » C’est par ces mots que le rapport de l’Office des Nations unies contre les drogues et le crime, publié vendredi 3 mars, caractérise le contexte du pays le plus pauvre des Amériques où près de 60% des 11,4 millions d’habitants vivent sous le seuil de pauvreté.
Intitulé « Marchés criminels d’Haïti : cartographie des tendances en matière d’armes à feu et de trafic de drogue », ce rapport de l’Unodc (United Nations Office on Drugs and Crime – Office des Nations Unies contre les drogues et le crime) alerte sur la hausse du trafic d’armes de gros calibre observée en République d’Haïti, où « quasiment tous les critères d’insécurité s’aggravent : homicides, violences sexuelles, enlèvements, assassinats de policiers et migrations » précise le texte.
Dans le pays, la situation sécuritaire est très compliquée depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse en juillet 2021 par un commando préparé et armé depuis les États-Unis. Si une présidence par intérim est depuis assurée par le Premier ministre Ariel Henry, aucune élection n’a pu être organisée et les conditions pour un tel scrutin ne sont pas réunies à ce jour.
Une fragilité politique et institutionnelle profitant aux gangs criminels se disputant le contrôle de la capitale Port-au-Prince qui, avec la région voisine de l’Artibonite, concentre 88% des morts violentes et 96% des rapts en 2022 d’après le rapport de l’ONU. Barrages, rackets et enlèvements crapuleux font le quotidien des habitants de ces zones urbaines, avec une franche tendance à la hausse ces deux dernières années. De 1 489 en 2021, le nombre d’homicides constatés est passé à 2 089 – dont 54 policiers – l’an dernier. Celui des enlèvements : de 78 en 2019 à 1 359 en 2022.
Les coalitions criminelles G9 et G-Prep, qui se livrent une guerre pour contrôler les quartiers, seraient largement responsables de cette flambée de violence et des importations d’armes de plus en plus lourdes observées par l’Office des Nations Unies contre les drogues et le crime.
Outre les armes de poing, achetées légalement 500 dollars aux États-Unis et revendues vingt fois plus cher en Haïti, le rapport de l’ONU pointe une augmentation des trafics de fusils d’assaut automatiques (Kalachnikov, AR 15, Galil), véritables armes de guerre qui semblent avoir la préférence des gangs haïtiens. Ces armes sont envoyées directement depuis les Etats-Unis ou transitent par la Jamaïque voisine et la République Dominicaine, seul pays à partager une frontière terrestre avec Haïti.
Les ONG médicales exposées
À ce tableau sécuritaire plus qu’inquiétant s’ajoute une situation sanitaire également dégradée. Une épidémie de choléra, conséquence d’une pénurie d’eau, sévit actuellement en Haïti. Plus de 30 000 cas ont été comptabilisés depuis octobre et la résurgence de la maladie, après trois ans sans aucun cas. Le bilan dépasse aujourd’hui les 600 morts.
Pour la Représentante spéciale de l’ONU dans le pays, Helen La Lime, la dégradation de la situation sanitaire est liée à celle de la situation sécuritaire car « les gangs ont intentionnellement bloqué l’accès à la nourriture, à l’eau et, au milieu d’une épidémie de choléra, aux services de santé » avait-elle déploré en janvier, appelant à l’intervention d’une force internationale pour combattre le crime organisé, en écho à la demande formulée par le Premier ministre Ariel Henry en octobre.
Car si la communauté internationale n’agit pas, Haïti risque de voir partir les ONG médicales, de plus en plus prises pour cibles. Si pour l’instant une mesure aussi radicale ne semble pas à l’ordre du jour, plusieurs d’entre elles, souvent implantées dans les quartiers les plus défavorisés, ont alerté sur les dangers auxquels elles sont exposées et sur les mesures prises pour limiter leurs activités afin de protéger leur personnel.
Fin janvier, Médecins sans frontières (MSF), présente depuis 1991 dans le pays, a ainsi suspendu ses activités dans un hôpital de la commune de Carrefour près de la capitale Port-au Prince, après un événement dramatique. Des hommes armés, qui ont fait irruption dans l’établissement hospitalier, « ont sorti un patient blessé par balles de la salle d’urgences et l’ont exécuté froidement d’une balle dans la tête » avait expliqué l’ONG dans un communiqué. Ces « intrusions dans nos structures médicales et les tirs croisés que nous essuyons aux portes de nos lieux de soins » menacent gravement « la continuité de nos activités » avait déploré MSF.
Ce vendredi 3 mars, c’est la Croix-Rouge haïtienne, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR) qui ont lancé un cri d’alarme, sous la forme d’un appel « aux porteurs d’armes pour qu’ils respectent les principes humanitaires, la vie et l’intégrité des blessés, des malades et de ceux qui les soignent ».
Ces organisations rappellent que « les personnes malades ou blessées doivent pouvoir se faire soigner librement, sans discrimination, à tout moment et en toutes circonstances » et elles demandent à ce que leur mission de « protéger les vies et la santé des personnes » ne soit plus entravée en Haïti.
Photo de Une : officiellement, 2 089 homicides et 1 359 enlèvements ont été constatés en Haïti en 2022 par l’Office des Nations unies contre les drogues et le crime © Unicef
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